Conférence, Exposition
Des marches, démarches
Mis en ligne le
Hendrick Strum, artiste enseignant, et Valérie Michel-Fauré, chercheure et enseignante à l'ÉSADTPM invités de Des marches, Démarche.
A travers le territoire
De 2018 à 2020 l'ESADTPM s'est impliquée dans le programme du FRAC Des marches, Démarches.
Porté par Valérie Michel-Fauré, chercheure enseignante à l'ESADTPM ce programme à été à l'origine de nombreux projets tels que "Regards et pratiques croisés", les "ARC Latitudes 43 #1 et #2" ou l'exposition "Paysages en mouvement".
Samedi 8 février, Valérie Michel-Fauré propose une restitution de l'expérience ARC Latitude 43 et des nombreux partenariats construits sur le territoire, notamment avec le Parc National de Port Cros,
À travers les œuvres et les murs,
Hendrik Sturm
Laura Bayod, chargée de collection au Frac, et Pascal Prompt, responsable de collection, s’entretiennent avec Hendrik Sturm, artiste marcheur, enseignant à l'ESADTPM.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Le Frac a choisi d’acquérir ton travail qui sera activé sous forme de plusieurs actions lors de l’exposition Des marches, démarches. Comment, pour ta part, le définis-tu : balade, performance, marche, visite ?
Hendrik Sturm : Je nomme ces actions « promenades » pour la connotation récréative, non fonctionnelle de ce terme. Je me déplace à pied avec un groupe de personnes, disponible à l’environnement et à ceux avec qui je marche. Je suis prêt à rencontrer sur le chemin des situations et d’autres personnes que je n’ai pas prévues. En tant qu’artiste je me situe dans le champ de la performance mais pas dans sa forme la plus habituelle de l’artiste actif en scène avec des allures extraordinaires ou décalées et un public attentif mais plus ou moins immobile. Vu de loin on peut confondre mes actions avec une visite, une balade, une randonnée…, j’accepte ce manque de visibilité artistique.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Quel est ton processus de travail pour élaborer ces actions (choix du lieu, temps passé in situ, « enquêtes », croquis, etc.) ?
Hendrik Sturm : Je prends beaucoup de temps pour la préparation in situ. Je tente de lire et comprendre un paysage et ses acteurs. Je « dérive » à la manière de situationnistes. Je pratique des transects, des coupes spatiales en suivant une ligne imaginaire ou réelle. J’apprends des personnes rencontrées spontanément. Je consulte des documents et archives, je prends des rendez-vous avec des informateurs. Je me sens engagé dans une enquête des lieux. Je passe le plus souvent deux ou trois semaines sur le terrain pour préparer un parcours entre deux et dix kilomètres. L’enquête n’est pas aboutie quand j’invite à une promenade publique. Elle se poursuit avec les personnes avec lesquelles je marche. Je les engage dans ce processus de questionnement et recherche, nous lisons ensemble les traces et indices, par conséquent je révise, approfondis ou élargis mes points de vue. Le choix du lieu n’est pas important. Chaque lieu peut être un haut-lieu avec son genius loci à condition de le regarder de près, avec bienveillance ou tout au moins avec curiosité. Investir intellectuellement et émotionnellement un endroit apparemment sans qualité est un beau challenge.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Dans le contexte de ta résidence dans nos murs, quelle relation as-tu à l’architecture du Frac et comment la complexité du bâtiment se met-elle en jeu dans ton projet ?
Hendrik Sturm : Je regarde les relations que les usagers et voisins nouent avec l’architecture du Frac pendant les semaines où j’habite sur place dans un des deux studios. J’essaie de comprendre les cheminements dans le bâtiment ainsi que les trajets imaginés par l’architecte Kengo Kuma et précisément ceux qui ne sont pas réalisables facilement. Je m’attache à détecter d’autres flux, ceux de l’air, du bruit, de l’eau, des animaux qu’on n’accepte pas intra-muros comme les rats et les oiseaux ou les animaux qu’on invite exceptionnellement comme ce chat dressé pour un tournage de film. Je suis particulièrement intéressé par les espaces des « cryptes » quasiment invisibles et non accessibles que je découvre au cours de mes pérégrinations dans le bâtiment, dans la lecture de plans et dans mes échanges avec le directeur technique. Guillaume Monsaingeon, le commissaire de l’exposition ne veut pas que je mène une énième visite architecturale du bâtiment mais que je me concentre sur l’exposition de l’art de la marche, Des marches, démarches. Il souhaite que je fasse vivre à mes co-promeneurs l’expérience de la marche, l’expérience de la production d’un cheminement, l’expérience du libre choix ou de la contrainte dans le choix du trajet pédestre ou du trajet des pensées. Cette demande de la réflexivité, d’une méta-marche, est tout à fait normale de la part d’un commissaire qui est d’abord philosophe. À moi de me débrouiller avec cette demande qui dépasse le cadre habituel. Je compte le faire avec « méthode ». Cela ne veut pas dire que je sais au préalable comment je vais procéder. L’étymologie m’aide ; « méthode » se compose de deux mots grecs, méta et hodos. L’un désigne la préposition « sur », « derrière » ou « après » et l’autre, hodos, est simplement le « chemin ». Il suffit pour être « méthodique » de se rendre compte du pourquoi on a pris tel chemin et pas un autre.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Imagines-tu pouvoir produire une partition minimale de ce qui va se jouer ? Qu’est-ce qui est établi et qu’est-ce qui au contraire reste de l’ordre du hasard et des fruits de la rencontre avec un public ?
Hendrik Sturm : Oui, avant la première promenade je vais produire une sorte de partition-carte, une séquence de lieux traversés, négocier les droits de passage et de visite, préparer des documents et objets que je vais montrer. J’imagine que la promenade va durer entre deux et trois heures. La rencontre avec les participants de la promenade impose une part importante à l’improvisation. J’adapterai sans doute le parcours et le timing des promenades suivantes en fonction des premières expériences.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Est-elle rejouable par d’autres que toi ?
Hendrik Sturm : Oui, ça m’est déjà arrivé dans le passé. Caroline Duchatelet, une amie artiste, m’a demandé de reprendre un parcours avec un groupe d’étudiants. Je n’y ai pas assisté mais je sais que ça a bien marché. De mon côté aussi j’ai bénéficié d’une partition-parcours de mon collègue Boris Sieverts à Cologne.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Le public a-t-il un rôle particulier ?
Hendrik Sturm : Je souhaite que les personnes qui viennent se promener deviennent enquêteurs avec moi. Idéalement il n’y a plus de public, ni d’auteur (que des co-auteurs), ni d’oeuvre, mais à sa place un processus d’enquête en cours. Stephen Wright a théorisé cette forme d’art. Les discussions avec lui pendant les années où il enseignait à l’école d’art de Toulon m’ont inspiré.
Laura Bayod et Pascal Prompt : Quel statut donnes-tu à tes notes, carnets de recherches, etc. ?
Hendrik Sturm : Je les considère comme des éléments nécessaires à l’enquête. Est-ce qu’ils sont associés à l’oeuvre ? Sans doute. J’ai consulté dernièrement les archives de la collection du Frac. Parmi les documents assemblés sur les oeuvres il y a aussi la correspondance avec les artistes. J’ai constaté une porosité stylistique. Une lettre de réclamation de Thomas Hirschhorn ou un ajout d’information envoyé par Marc Quer ne se distinguent pas formellement de leur production plastique respective.
Informations complémentaires
À travers les oeuvres et les murs :
une exploration marchée dans l’exposition Des marches, démarches
avec Hendrik Sturm, artiste-marcheur.
Durée 2 à 3 heures. Sur réservation.
À 14h samedi 8 février, 22 février, 28 mars, 11 avril, et dimanche 10 mai.